La crise spirituelle, matrice de toutes les autres
- Michel
- 19 mars
- 3 min de lecture

Charles Delhez sj —
« L’avenir de l’humanité ne passera pas seulement par la résolution de la crise financière et économique, mais de façon bien plus essentielle par la résolution de la crise spirituelle », pronostique l’essayiste musulman Abdennour Bidar. Nombreux sont en effet ceux qui soulignent la crise spirituelle que nous traversons. Yann Boissière, dans son récent livre Le devoir d’espérance. Faire face à la crise spirituelle, chez Desclée de Brouwer[1], affirme, dès la première ligne : « Le temps est venu de le formuler ainsi : nous vivons une crise spirituelle majeure. » Et ce rabbin juif de préciser que « cette crise n’en est pas une de plus, mais la matrice de toutes les autres. » Elle se manifeste, précise-t-il, par la désintégration de l’individu devenu roi. Or, la spiritualité, c’est précisément un chemin d’unification intérieure.
Ces crises, nous croyons pouvoir les résoudre avec une armada d’experts. Nous oublions de distinguer les problèmes techniques et les problèmes adaptatifs. Ces derniers exigent non une solution, mais notre propre transformation. Les problèmes techniques sont ce qu’il y a finalement de plus simple. Mon smartphone est-il en panne ? Je le remplace. Mais s’adapter à la réalité, se transformer dans notre rapport avec le monde, avec les autres, telle est la priorité, estime Yann Boissière.
« Nous avons une prodigieuse tendance à oublier, explique notre rabbin, que nous sommes, la plupart du temps, la propre source de nos problèmes – et nous dispensons une énergie non moins formidable à diriger nos tentatives de solution le plus loin possible de notre propre direction… » Tout en effet n’a de cesse de nous projeter vers l’extérieur ; la spiritualité tente le mouvement inverse : rentrer en nous-mêmes. Hélas, constate notre auteur, « nous avons sauté à pieds joints dans le divertissement pascalien, dans l’oubli forcené de nous-mêmes, un puits sans fond dont l’écran est la margelle ».
« L’appel à la spiritualité s’infiltre un peu partout dans notre société », souligne pour sa part Edgar Morin. Reconnaissons-le cependant, nous n’avons pas de temps pour y répondre. Étonnant ! La législation et l'évolution des mœurs nous font pourtant gagner des centaines d'heures de loisirs, comme le fait remarquer Yann Boissière. Les faisons-nous fructifier en passant du temps à prendre soin de notre âme ? Les chrétiens s’offrent 40 jours pour y travailler. Ils sont censés prendre plus de temps pour les choses de l’âme. Mais en profitent-ils ?
La spiritualité est un travail, celui notre propre transformation. En effet, pour citer Etty Hillesum, on ne peut « corriger quoi que ce soit dans le monde extérieur que nous n’ayons d’abord corrigé en nous ». Confucius, dans ses Entretiens, a cette belle cascade de priorités : « Pour mettre de l'ordre dans le monde, disait-il, nous devons d'abord mettre la nation en ordre. Pour mettre la nation en ordre, nous devons mettre la famille en ordre. Pour mettre la famille en ordre, nous devons cultiver notre vie personnelle. Et pour cultiver notre vie personnelle, nous devons clarifier nos cœurs. » La vie spirituelle commence en effet par soi pour aller vers plus grand que soi, vers les autres et vers Dieu, et corriger notre manière de nous situer en ce monde. Tout un travail !
[1] Yann Boissière, Le devoir d’espérance. Faire face à la crise spirituelle, Desclée de Brouwer, 2024.
Comments