La religion de la croissance ne fait pas le bonheur
- Michel
- 25 mars
- 2 min de lecture

Charles Delhez sj —
La croissance est à plusieurs vitesses : tortue pour les plus pauvres et lapin pour les plus riches. Les chiffres sont sans appel : le fossé s’élargit, seuls les plus fortunés profitent vraiment de la croissance. La richesse ne ruisselle pas vers le bas, contrairement à l’idée reçue. Ne faudrait-il donc pas combattre la religion de la croissance plutôt que celle de Dieu ? Un « athéisme de la croissance », selon l’expression de Serge Latouche, est urgent.
Dans la nature, rien ne croît indéfiniment ! Le capitalisme, lui, ne peut pas plus renoncer à la croissance qu’un crocodile ne peut devenir végétarien. Il faut donc changer de système. « L’heure est venue, lit-on dans Laudato si’ du pape François (193), d’accepter une certaine décroissance dans quelques parties du monde, mettant à disposition des ressources pour une saine croissance en d’autres parties. »
Nous vivons en excès de production, de consommation. Notre économie du contentement produit ce dont nous n’avons pas vraiment besoin. Or, les dommages sont nombreux pour la planète, pour le règne des vivants, pour l’humanité en tant que famille humaine et pour le bien de chacun.
Dans Ralentir ou périr, l’économie de la décroissance, aux éditions du Seuil (2022), Timothée Parrique promeut une économie de la suffisance, mot qui pourrait remplacer celui de décroissance. Nous consommons plus que le nécessaire pour bien vivre. Les gadgets sans cesse plus nombreux ne nous rendent pas plus heureux, mais assurent la pérennité du système capitaliste. « La croissance est une drogue et, comme elle, elle fait du bien dans les premiers instants, mais tue à terme », dirait Albert Jacquard.
Inconsciemment, malgré nos belles déclarations, nous croyons qu’avoir plus est toujours synonyme d’être mieux. Dans l’Évangile de Luc, Jésus met en parabole un homme qui veut démolir ses greniers pour en bâtir de plus grands afin d’engranger sa récolte trop abondante. « Tu es fou, lui dit Dieu. cette nuit même, on te redemande ta vie. Et ce que tu auras accumulé, qui l’aura ? » (12, 16-21). Serait-ce le même homme qui, toujours chez Luc, fait bombance tandis que le pauvre Lazare crève la dalle au seuil de son palais (16, 19-31) ?
Les économistes montrent qu’à partir d’un certain niveau de revenus par habitant, les sociétés continuent de s’enrichir sans pour autant augmenter le bien-être de leurs membres. C’est le paradoxe d’Easterlin : au-delà du seuil minimum en dessous duquel le bonheur est compromis, la croissance n’est plus corrélée avec le bien-être individuel. Ce qui importe alors, c’est l’amour, l’amitié, la famille… Bref, tout ce qui est humain.
La décroissance est un processus à anticiper, à planifier démocratiquement, en vue d’éviter l’effondrement. Elle n’est qu’une transition en vue d’une économie de « post-croissance », stationnaire, en relation harmonieuse avec la nature, où les richesses sont équitablement partagées. Plus on attend, plus ce sera difficile, plus certains dégâts seront irrémédiables.
L’urgence est de faire le choix d’une société animée par d’autres valeurs, par l’utopie d’une autre prospérité. « La décroissance est une nécessité écologique, mais c’est aussi une aubaine sociale et existentielle », clame Timothée Parrique. Ce que nous devrions faire pour survivre rejoint donc ce que nous devons faire pour être plus heureux.
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