Quelle ne fut pas la surprise de Pierre, dans les Actes des Apôtres, quand il vit que l’Esprit Saint soufflait en dehors des frontières que les humains s’ingénient à placer et à défendre ! Lors de sa visite chez le Romain Corneille – “païen de chez païens”, aux yeux des juifs –, il dut bien reconnaître que l’Esprit Saint l’avait devancé. La Pentecôte n’était donc pas le monopole des disciples de Jésus… Corneille, qui faisait ce qui est “juste”, était aussi habité par l’Esprit, sans encore avoir été baptisé ni même être membre du peuple élu.
N’aurions-nous pas, aujourd’hui encore, une vision restrictive du christianisme, le réduisant à des questions de rites, de dogmes et de hiérarchies ? Or, c’est second. C’est à son amour que l’on reconnaît le chrétien, mais pas n’importe quel amour : aimez-vous les uns les autres “comme je vous ai aimés”. Voilà qui est premier. C’est le seul commandement laissé par Jésus. Un amour qui peut aller jusqu’à donner sa vie pour ses amis. Ainsi nous a-t-il aimés. Voilà qui est audacieusement simple. Et si je ne suis pas encore capable de donner toute ma vie, qu’au moins j’en donne un peu. Et que je sois ouvert à l’imprévisible.
Trop souvent, nous confondons amour et sentiments. Or, si l’amour n’exclut pas les sentiments, il est bien plus profond. Aimer, c’est dire à quelqu’un : je veux que tu sois toi, et faire tout pour qu’il le soit. Et il suffit parfois d’un regard, d’une pièce de monnaie glissée dans la main, d’un coup de téléphone qui réconforte. Dieu n’est-il pas le premier à nous avoir dit : je veux que tu sois toi ? C’est par ces mots qu’il nous a créés. A nous maintenant de faire aux autres ce cadeau : leur permettre d’être eux-mêmes.
« Aujourd’hui, Dieu aime tant le monde qu’Il vous donne vous, qu’Il me donne moi, pour aimer le monde, pour être Son amour, Sa compassion », disait Mère Teresa aux évêques réunis à Rome en octobre 1980. Nous sommes appelés à aimer partout, tous les hommes, et il est possible de le faire de mille et une manières. Mais quel est notre lieu privilégié, quels sont les premiers que nous rencontrons sur notre chemin, quelle manière sera la nôtre ? Telle est finalement la question posée à chacun. Et l’Esprit nous est donné pour que nous puissions l’entendre et y répondre.
Cet amour est sans aucune exclusive. Il fait de la fraternité “notre premier axiome”, selon la belle expression de Monseigneur Doré, dans son récent livre : Le salut de l’Église est dans sa propre conversion[1]. Mais, se demande l’ancien archevêque de Strasbourg, croit-on vraiment à la possibilité de l’amour ? Or, l’audace chrétienne est précisément de le croire réellement possible. Et c’est en Jésus qu’on peut le vérifier. Les chrétiens ont reçu de lui non seulement le commandement et l’exemple, mais la foi en la possibilité même de l’amour.
L’urgence est donc une vraie relance de la charité chrétienne. C’est la générosité des chrétiens qui ne se limitait pas aux coreligionnaires qui a fait le succès de l’Église à l’origine. C’est à la lumière de cet amour, estime Mgr Joseph Doré, qu’il faudra tout reconsidérer.
Charles DELHEZ
[1] Salvator 2021.
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