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Plaidoyer pour un État stratège


Charles Delhez sj –


On ne sort pas indemne du récent livre de Bruno Colmant, Une brûlante inquiétude[1]. Ce titre s'inspire de l'encyclique du pape Pie XI à la veille de la seconde guerre mondiale. Un livre écrit, je cite, "avec un profond sentiment de liberté d'écriture retrouvée". L'auteur fut longtemps un grand défenseur du néolibéralisme. Il le qualifie maintenant de prostituée. Il retourne sa veste et tire la sonnette d'alarme. Reprenant la thèse qui avait fait du bruit, celle de Thomas Piketty, il affirme que le capitalisme, s'il n'est pas régulé, génère des inégalités grandissantes. On avait prétendu le contraire, laissant penser que le développement économique s'accompagnait mécaniquement d'une baisse des inégalités de revenus. Or, dans les années Reagan-Thatcher, le néo-libéralisme anglo-saxon a pris le dessus. On en est arrivé à postuler la supériorité incontestable des mécanismes du marché sur le pilotage étatique. Mais les inégalités sont aujourd'hui grandissantes.

Voici un plaidoyer sans concession pour le retour à un État stratège qui combine le marché et la règle de droit. Il faut restaurer des valeurs collectives et rebâtir la place de nos États, qui se sont affaiblis depuis 40 ans, et retrouver la tempérance économique et la solidarité sociale. Il doit y avoir "une troisième voie entre communisme inhumain et inhumanité capitaliste", affirme l'auteur.

Bruno Colmant est particulièrement attentif au développement durable et à la crise climatologique. Il est urgent de mobiliser l'économie en faveur de la transition écologique, explique-t-il, et de soustraire les aspects environnementaux aux lois du marché. Lui aussi rappelle les deux dates pivot de 2030 et 2050. Le sixième rapport du Giec, qui vient de sortir, invite les gouvernements à tout faire pour éviter le point de basculement du 1,5° de réchauffement climatique. De ces jours-ci, on nous a aussi rappelé que nous avions brisé le cycle de l'eau. Dans sa préface, Thomas Dermine, Secrétaire d'État fédéral, rappelle qu'il y a deux leviers pour un avenir durable : la technologie et l'ajustement de nos modes de vie.

Nous savons que les choses ne vont pas bien, mais nous avons trop d'intérêt à ce qu'elles ne changent pas. Il n'y a sans doute qu'une seule question : comment anticiper ce qui nous attend avant 2030, chiffre que cite souvent Bruno Colmant. Il est en effet habité par une brûlante inquiétude. Il ressent "une sourde prescience qu'un événement important, mais encore imprécis, doit s'abattre". Ne serions-nous pas proches d'un point de non-retour ? Bruno Colmant n'y va pas par quatre chemins : nous sommes à l'aube de gigantesques basculements sociétaux, notamment climatiques et environnementaux. Selon lui, les crises vont atteindre leur paroxysme dans les cinq prochaines années.

Faut-il être aussi inquiet ? Nous pourrions en tous les cas l'être plus! Cela nous ferait retrousser les manches. La transition climatique ne sera pas heureuse, mais très coûteuse en termes de bien-être, rappelle notre auteur, et de dénoncer les pharisiens qui nous font croire le contraire. Encore faut-il que nous acceptions de donner plus de pouvoir à l'État. Cela n'est pas gagné. Mais il faut aussi que l'État revoie son propre fonctionnement. Il est de toutes façons urgent de reformuler un projet de société qui suscite l'enthousiasme et de subordonner les intérêts particuliers à l'intérêt général.

Charles Delhez sj



[1] Renaissance du livre, Waterloo, 2023.



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